À artiste fantastique, lieu d’exception. C’est au Théâtre du Châtelet, l’un des plus beaux écrins de la Capital, que Youn Sun Nah avait pris ses quartiers le 25 mars dernier. Salle pleine et scène dépouillée de tout élément superflu, voilà un endroit parfait pour se délecter des fabuleuses mélodies de l’artiste coréenne, et notamment certaines tirées de son dernier album, Lento, sorti alors depuis à peine une dizaine de jours. Cette chronique sera sans doute décousue, mais un concert de Youn Sun Nah est fait pour être vécu, l’écrit ne pouvant rendre toute l’émotion et ressenti de l’instant.

Comme souvent, c’est avec une Youn Sun Nah seule et le superbe My Favorite Things que s’ouvre le concert. Quelques minutes plus tard, c’est son compère, Ulf Wakenius, qui la rejoint sur scène. Les deux artistes travaillent ensemble depuis leur rencontre en Corée en 2008 et leur complicité et respect mutuel m’a encore plus sauté aux yeux que lors du premier concert de l’artiste auquel j’ai assisté, à l’Onde de Vélizy (78), en octobre 2011. Le suédois nous a d’ailleurs offert son maintenant attendu et célèbre solo de bouteille guitare, sous le regard amusé de Youn Sun Nah et des 1800 privilégiés présents dans la salle.

Au fur et à mesure des morceaux, Vincent Peirani, talentueux accordéoniste qui s’est joint à Youn Sun Nah pour l’album Lento, ainsi que Lars Danielsson, au violoncelle et à la contrebasse, et Xavier Desandre-Navarre, aux percussions, font leur apparition aux côtés du duo pour continuer l’extase auditive. Une fois l’ensemble réuni, la démonstration musicale continue de plus belle. Les interprétations de Breakfast in Bagdad et Momento Magico, accompagnées de la gestuel expressive de Youn Sun Nah, dansant avec les bonds et changement de rythme de sa voix, ont fait lever la salle. C’est aussi avec un immense plaisir que l’artiste coréenne nous a offert les sublimes Lento et Lament. Ce second morceau est d’ailleurs tout simplement un véritable scud musical, qui impressionne par la maîtrise que Youn Sun Nah insuffle à sa composition. Et dire qu’elle a hésité à inclure cette pépite dans son dernière album.

Pour l’artiste coréenne, « le jazz est une musique qui laisse beaucoup de place à la spontanéité », est cela transpire dans ses interprétations, encore plus en live que dans ses albums. Artiste n’hésitant pas à investir de multiples registres, avec un brio toujours aussi impressionnant, les reprises toutes personnelles de Ghost Riders In The Sky, Jockey Full Of Bourbon ou Avec le temps de Léo Ferré ont continué de charmer un public du Théâtre du Châtelet aux anges, acclamant longuement l’artiste entre chaque morceau. Ces instants ont aussi permis de mettre une nouvelle fois en lumière toute la douceur, l’humilité et la modestie de la talentueuse coréenne, toujours aussi gênée par ces acclamations nourries, sans cesses surprise de susciter tant d’émotions et de plaisir chez ses auditeurs.

C’est finalement sur trois rappels, une standing ovation d’un quart d’heure (!) et une Youn Sun Nah en larme que se termine ce premier passage triomphale de l’artiste au Théâtre du Châtelet, suivi par une séance de dédicaces, où Youn Sun, accompagnée de Wulf, prenait soin de demander à chacun si le concert s’était bien passé tout en adressant des « oh merci beaucoup » face à l’avalanche d’éloges qu’elle recevait en retour. Loin des produits Kpop (et oui, je me devais de placer un petit tacle pour terminer), la Corée tient ici une ambassadrice de tout premier choix dans la promotion de la scène culturelle du pays, surtout quand on voit le public extrêmement large qu’elle est capable de brasser. Et quand du côté de Séoul on aura compris que la qualité prime sur la quantité et le talent sur le préfabriqué, la reconnaissance de la musique coréenne à l’international aura fait un très grand pas en avant.

Photo ⓒ 2013 by Chris Jung